Haut fonctionnaire ayant travaillé auprès de Pierre Bérégovoy puis de Dominique Strauss-Kahn, aujourd’hui directeur général délégué de BNP Paribas en charge des marchés domestiques, François Villeroy de Galhau transmet dans un très beau livre, L’espérance d’un Européen (Odile Jacob, 2014), un témoignage particulièrement utile. Le lecteur est d’abord emmené le long d’un « parcours à nos frontières », qui illustre les défis et les richesses de nos voisins, avant d’entendre un appel à une « renaissance européenne » lancé avec ferveur. L’un des éléments de la reviviscence, détaillé ici, est de faire de l’emploi des jeunes une source de légitimité nouvelle pour l’Union.
L’emploi des jeunes, un projet politique plus urgent que les autres
François Villeroy de Galhau est l’un des rares observateurs à rappeler que l’Europe ne dispose plus, depuis l’avènement de l’Euro, de projet fédérateur Atteindre le plein emploi des jeunes est un projet plus approprié. Un projet crédible, aussi, pour trois raisons : il correspond aux intérêts les plus pressants des Etats ; il est à même de conforter un rapprochement entre le Nord, qui a besoin de main d’œuvre, et le Sud, qui est le plus touché par le problème ; et il peut, enfin, donner la preuve de l’efficacité concrète de l’Union aux opinions publiques. Un plan visant à donner aux 5,4 millions de chômeurs de moins de 25 ans une perspective d’emploi sur les dix prochaines années est ainsi une cause trop sérieuse pour être négligée[2]. Le nouveau Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, l’a d’ailleurs habilement reconnu en déclarant que l’Union comptait, avec les jeunes chômeurs, un « 29e Etat ». Trois leviers sont identifiés par l’auteur pour atteindre un objectif de création de 4 millions de postes d’ici à 2025 : la mobilité, l’éducation et la formation, et la croissance. De conserve avec Peter Hartz, ancien Ministre du gouvernement Schröder ayant effectué les judicieuses réformes du marché du travail allemand, François Villeroy de Galhau invite à reprendre un mouvement initié, en février 2013, par les Etats membres. Ceux-ci avaient, notamment au cours des sommets de Berlin et de Paris, identifié le problème, estimé les fonds mobilisables et valorisé leurs propres initiatives[3]. Ces actions ont toutefois souffert, comme d’autres dossiers, d’un manque de coopération tangible et durable. Premier jalon du plan d’action, la mobilité européenne doit être mise au service des travailleurs, notamment des peu qualifiés. Si elle est conforme aux impératifs théoriques des zones monétaires optimales[4], elle correspond aussi aux intérêts des pays faisant face à une pénurie de main d’œuvre, comme l’Allemagne. Un « titre de formation échangeable » pour des « Europatriés » pourrait financer à hauteur de 40 ou 50.000 Euros la formation de 1 à 2 millions de jeunes hors de leurs pays d’origine. Ces actifs, par hypothèse émis par la Banque européenne d’investissement (BEI), seraient surtout achetés par les Etats du Nord puis remboursés par les entreprises voire les jeunes eux mêmes. Le retour, au bout de 8 à 10 ans, du jeune formé à l’étranger dans son pays d’origine (afin d’éviter une déperdition durable de main d’œuvre qualifiée, ou un « brain drain ») devrait être une condition assortie au titre. Cette mesure devrait bien sûr s’accompagner de la portabilité des droits sociaux des salariés ainsi que d’une reconnaissance mutuelle des formations et des diplômes, deux domaines dans lesquels de véritables progrès peuvent être menés à l’échelle européenne. Ainsi, la mobilité nouvelle pourra-t-elle elle bénéficier de façon pérenne à d’autres publics que les étudiants ou les jeunes professionnels qualifiés, et servir la citoyenneté européenne. L’éducation et la formation constituent le deuxième volet du plan de François Villeroy de Galhau. Les objectifs, qui sont ici davantage nationaux, doivent être de développer l’apprentissage et la formation professionnelle en même temps que d’améliorer toujours les systèmes éducatifs, particulièrement dans les pays où ils se sont dégradés. Ainsi, la France (comme l’Italie, la Grèce ou l’Espagne) pourrait-elle créer environ 200.000 emplois en alternance et en apprentissage d’ici à 2025. Faire confiance aux partenaires sociaux, aux régions, chargées d’identifier les besoins, et à des écoles ouvrant leurs portes (et leurs esprits) aux entreprises, aiderait ce processus. Comme Hubert Védrine, dans La France au défi[5], l’auteur rappelle que le milieu éducatif ne peut dédaigner ces besoins au motif qu’ils correspondraient à des intérêts économiques. Les problèmes associés à une école plus inégalitaire et à une condition enseignante difficile ne peuvent être traités par un regain de conservatisme mais bien résolus par une gestion plus décentralisée, un accent mis sur l’accompagnement individuel des élèves, et une carrière des enseignants valorisante. L’autonomie des universités, dûment conservée par le gouvernement actuel, aidera également en ce sens. Au total, un million d’emplois peuvent être ainsi crées. Dynamiser la croissance, enfin, est nécessaire pour renouer avec la création d’emplois. La baisse de la productivité européenne depuis les années 1980 explique une large part de l’atonie de la croissance, dont le potentiel, en zone Euro, voisine à peine 1%. Or, avec une croissance moyenne de 1,5% par an sur les dix prochaines années, la croissance des emplois serait de 5%[6], soit 1 million d’emplois. Si les remèdes indiqués pour atteindre cet objectif sont peu détaillés, l’auteur rappelle très justement, dans un chapitre consacré à la « réunification de l’Euro », que la bonne politique économique consiste à « équilibrer les réformes nationales et l’expression d’une solidarité européenne ». Le livre de François Villeroy de Galhau a toutes les caractéristiques d’un propos utile à une projection résolue de la France en Europe. Emprunt d’expérience internationale et financière, de pratique de la construction communautaire, et d’éthique personnelle, l’auteur ne nie pas les difficultés actuelles, mais invite avec conviction à un sursaut collectif. Prenant la suite de Sylvie Goulard et de Mario Monti pour qui, dans De la démocratie en Europe (Flammarion, 2012), nous vivons bien une « crise de l’autorité des Etats », l’auteur termine l’ouvrage avec un salutaire rappel : le plus grand défi occidental, européen, et singulièrement français, consiste bien à restaurer une pratique démocratique sereine. Olivier Marty [1] Voir aussi à ce sujet l’article d’Olivier Marty, Europe : répondre au scepticisme des citoyens par un projet et une incarnation, La Tribune, juin 2014. [2] 2,2 millions de ces jeunes chômeurs sont répartis entre l’Espagne, l’Italie et la France. [3] En février 2013 a été décidée une « garantie jeunesse » visant à offrir à chaque jeune un emploi, une formation, un apprentissage ou un stage. En juillet 2013 s’est tenu le sommet de Berlin, valorisant l’alternance et l’apprentissage allemand. En novembre 2013 fut organisé celui de Paris, où l’on estima les fonds mobilisables à hauteur de 45 milliards d’Euros d’ici à 2015. En janvier 2014, Peter Hartz expose ses idées à François Hollande, suivi par une presse plus soucieuse de juger le bilan de l’intéressé dix ans avant. [4] La mobilité de travailleurs est en effet utile pour répondre, en union monétaire, à des chocs de nature « asymétrique », touchant inégalement un papier plus qu’un autre. Le chômage associé à la récession de l’Espagne peut, par exemple, être réduit par le départ, vers l’Allemagne, de travailleurs sans emplois. [5] Voir l’article d’Olivier Marty, Hubert Védrine met la France au défi, publié dans la prochaine livraison de la revue Le Banquet. [6] L’auteur estime que la création d’emplois commence lorsque la croissance atteint 1% du PIB. 1,5% de croissance annuelle moyenne signifie donc 0,5%*10, soit 5%, d’emplois en plus.Favoriser la mobilité des travailleurs peu qualifiés et parfaire les formations
Renouer avec une croissance désormais très affaiblie
Soigner, enfin, la crise de la démocratie
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