Brexit : un accord est encore souhaitable
Les épisodes récents de la négociation du « Brexit » ravivent les craintes d’une absence d’accord et donc d’une sortie sèche de ce pays de l’Union européenne. Le plan de Chequers présenté par Londres en juillet a été, à juste titre, rejeté par M. Barnier. Le gouvernement est divisé et la majorité parlementaire de Mme May pour valider quelque accord que ce soit est très incertaine. Pendant ce temps, Londres cherche à minimiser les conséquences d’une sortie qu’il feint d’imaginer brutale. On peut toutefois penser qu’un accord est encore le scénario le plus souhaitable.
Il faut d’abord garder à l’esprit l’étendue des intérêts respectifs des parties. Côté britannique, maintenir un accès au marché unique, quand bien même celui-ci serait limité, est essentiel pour la croissance et l’emploi. De même, bénéficier du temps nécessaire, au cours de la période de transition prévue à la suite d’un accord, pour préparer de nouveaux accords de libre-échange avec l’Union et le reste du monde, l’est aussi. Du côté de l’UE, le marché britannique reste important, en particulier pour certains secteurs, comme l’automobile, l’énergie, ou l’aéronautique. Enfin, une coopération en matière de sécurité, de défense, ou de recherche intéresse légitimement les deux côtés de la Manche.
Ne pas conclure un accord conduirait dans l’immédiat à un désordre inédit. Des queues de camions aux frontières aux perturbations du transport aérien, des difficultés d’acheminement de matières nucléaires aux risques de faillites d’entreprises, les complications seraient nombreuses, en particulier pour le Royaume Uni. Une telle situation inciterait certainement Londres à poursuivre une stratégie non coopérative au plan règlementaire et fiscal et, à coup sûr, à ne pas régler ses engagements financiers dus à l’Union. Enfin, dans l’UE, les partis populistes pourront toujours exploiter le filon de la responsabilité de « l’Europe » dans cette situation chaotique.
Conclure un accord est également important au plan politique. Pour Londres, ce serait réussir le défi de respecter le suffrage populaire, que l’on ne peut ignorer, et de minimiser les conséquences d’une décision irrationnelle. Mme May pourrait, du même coup, détourner les projecteurs du triste spectacle d’un grand pays qui expose aux yeux de tous ses faiblesses chroniques. Pour l’Union européenne, parvenir à ordonner le « Brexit » soulignerait plus légitimement les bénéfices d’une adhésion pleine et entière. Aucune des deux parties, enfin, n’a envie de porter la responsabilité de nouvelles tensions en Irlande, qui seraient consécutives au rétablissement d’une frontière physique dans l’île.
La clé réside bien dans la solution à trouver pour l’Irlande. Or, celle-ci est connue depuis décembre 2017 et fut initialement acceptée par Mme May : elle consiste à prévoir un alignement règlementaire du nord de l’île sur les normes européennes et des contrôles douaniers conjoints de l’UE et du Royaume Uni ailleurs qu’à la frontière terrestre (solution dite du « backstop »). Il est absurde que le gouvernement britannique soit finalement revenu sur sa parole au motif que sa souveraineté et l’intégrité du pays en serait affectées. Il est clair qu’il n’y aura pas plus de souveraineté britannique en cas de « hard Brexit » ; de même, un régime douanier différencié en Irlande ne serait guère plus attentatoire à la souveraineté britannique que ne le sont les pouvoirs différenciés des régions britanniques.
Comment envisager les prochaines étapes ? Sans doute l’Union européenne pourrait-elle inviter Londres à revenir sur ses choix précédents et, en l’absence prévisible d’accord du parlement britannique, soutenir l’idée d’un nouveau referendum offrant la possibilité de choisir entre l’accord négocié ou la sortie sèche (et non le retour dans l’UE). Un tel choix binaire serait à coup sûr plus éclairé que celui de 2016 et offrirait aux Britanniques la perspective de sortir…la tête haute.
Olivier Marty enseigne les Questions européennes à SciencesPo. Il a publié récemment (avec Nicolas Dorgeret) « Connaitre et comprendre l’Union européenne » (Ellipses, 2018)
Article initialement paru pour Les Echos du 4 septembre 20018