La nécessité d’un approfondissement politique de la zone euro fait des progrès au Parlement européen ainsi que dans plusieurs capitales et cercles de réflexion. Ce projet reprend utilement la distinction entre l’union monétaire et le reste de l’Union européenne. Le débat s’est récemment organisé autour d’une « assurance chômage » et d’une assemblée parlementaire chargée de conforter la légitimité des décisions des ministres des Finances, exemples qui sont les deux faces d’une même médaille : quel Parlement votant quel budget peut-on envisager pour la zone euro ?

Groupe Eiffel et Glienicker Gruppe

Formé en 2013 à l’initiative de onze économistes, juristes et politistes allemands d’horizons politiques divers, dont le directeur de l’influent think tank Bruegel, le Glienicker Gruppe prône la création d’un « Parlement de l’Union de l’euro ». Celuici serait composé soit de parlementaires européens issus des dix-huit pays ayant adopté la monnaie unique, soit de parlementaires nationaux, sans que leur nombre ni leurs pouvoirs soient clairement énoncés. Ce Parlement contrôlerait un budget spécifique à la zone d’environ 0,5% de PIB, financé par des contributions des États, et ayant des fonctions d’investissement et de stabilisation. La proposition de création d’une assurance chômage est partagée tant par certaines personnes de ce groupe que par son alter ego français, le groupe Eiffel, réuni en 2014 à l’initiative de la députée européenne libérale Sylvie Goulard mais ouvert à des personnalités de gauche. Le Parlement de la « Communauté de l’euro » envisagé par les douze économistes, politiques et administrateurs français réunirait parlementaires nationaux et européens contrôlant un budget financé par des ressources propres. Parmi celles-ci, un reversement de parts des impôts sur les sociétés progressivement harmonisés et des taxes environnementales. L’idée d’une mutualisation de la dette entre les pays de la zone euro n’est retenue par aucun des deux groupes conscients de l’importance du lien franco-allemand mais plutôt partisans d’une ligne rigoriste. La capacité d’emprunt du nouveau budget n’est envisagée que par les responsables du groupe Eiffel, mais uniquement à des fins de financement de nouveaux projets communs.

Le rapport Arthuis

Lors d’une mission demandée par le Premier ministre français en 2012, le sénateur Jean Arthuis prônait une « Commission de surveillance de la zone euro », qu’il souhaitait d’abord composée de parlementaires nationaux, mais en nombre restreint : deux ou trois représentants par État, issus des commissions compétentes de leurs Chambres, formeraient une Journal une assemblée de cent sages exerçant des fonctions de contrôle des engagements des États membres et des responsables économiques européens. Un groupe de parlementaires européens de la zone euro se joindrait à ces travaux. Ce futur Parlement de la zone euro aurait l’avantage d’améliorer la collaboration des représentants nationaux et européens et serait impliqué dans le contrôle d’un budget financé par des ressources propres provenant, dans une ambition plus propre à la gauche, de la taxe sur les transactions financières (TTF) et d’impôts sur les sociétés harmonisés puis mutualisés. Si le député européen centriste avance également des pistes très intéressantes dans le domaine de la fiscalité numérique, celle-ci n’aurait pas vocation à abonder le budget qui serait, par ailleurs, exempt d’une capacité d’emprunt. La mutualisation de la dette est jugée prématurée par la mission, en accord sur ce point avec le groupe Eiffel et le gouvernement allemand, au motif que cela constituerait des soins palliatifs pour les États en crise, voire créerait des incitations à accroître l’endettement (aléa moral).

Les propositions de Thomas Piketty

Ce n’est pas l’avis de l’économiste Thomas Piketty, qui fait sienne l’idée d’un fonds de rédemption des dettes européennes concernant les dettes supérieures à 60 % du PIB. Il souhaite également une Chambre européenne composée de nombreux parlementaires nationaux – rejoignant en cela partiellement le rapport Arthuis – ouverte à des pays nonmembres de la zone euro et votant l’assiette d’un impôt sur les sociétés mutualisé pour un total de 0,5 à 1% de PIB. Ce projet est plus nettement marqué à gauche en raison de l’ambition du dispositif de ressources envisagé, de l’importance accordée à des parlementaires nationaux et des pouvoirs qui leur seraient conférés.

Le mystérieux groupe « Euro 2030 »

Composé de conseillers de responsables européens, parlementaires et exécutifs, et de professionnels du secteur privé, tous anonymes et sans doute d’horizons divers, le groupe « Euro 2030 » en appelle à la création d’une « Commission de l’Union de l’euro » composée strictement de parlementaires européens. Le budget envisagé aurait à la fois des fonctions d’investissement (dans l’innovation, les PME, l’éducation, la recherche, et les grands projets) et de stabilisation, reprenant à son compte l’idée d’une assurance chômage associée à un contrat de travail européen. Les ressources propres envisagées proviendraient d’une mutualisation de l’impôt sur les sociétés, de la TVA et d’une taxe carbone. Une capacité d’emprunt pourrait être envisagée, selon les conclusions des travaux de Mario Monti sur le budget de l’Union européenne. Celle-ci aurait pour objet de mutualiser la dette des États, ce à quoi s’oppose l’Allemagne. Pour ce faire, le schéma retenu serait celui de l’émission de titres communs de court terme adossés pour leurs taux aux bons du Trésor nationaux et dont l’objet serait de racheter ces derniers dans une limite de 10 % de PIB et si l’État concerné n’a pas de déficit excessif.

Légitimer, œuvrer à l’harmonisation fiscale, investir

Quels sont les points communs à ces différentes propositions, qui énoncent autant d’enjeux politiques pour la prochaine législature ? La nécessité de légitimer les décisions prises par les autorités financières est claire et un système de représentation parlementaire hybride paraît souhaitable. Un budget pour contrecarrer les chocs asymétriques de l’union monétaire l’est aussi. Celuici devrait être financé par des ressources tirées de fiscalités d’entreprises progressivement harmonisées, en lien avec les avancées en matière d’optimisation fiscale. Enfin, la nécessité d’investir pour rehausser le potentiel d’innovation et de croissance européen est établie3. Il convient néanmoins d’évaluer le type de consensus possible à moyen terme autour de ces propositions. Les ressources d’un budget de la zone euro devraient être modestes à l’origine : une convergence rapide des impôts sur les sociétés ou de nouvelles contributions des États sont inenvisageables, ce qui laisserait le champ libre à des taxes ad hoc (par exemple TVA sur les grands groupes, taxes environnementales). Un système d’indemnité chômage, de nouveaux fonds dédiés à l’emploi et à la jeunesse et des avancées sur les niveaux de salaires et les droits du travail sont probables avant un système d’assurance chômage commun exhaustif. Ces progrès feraient suite aux avancées récentes en matière de gouvernance économique, actées dans un climat politique tendu entre États membres. Ils dépendront également étroitement des débats en cours sur le budget de l’Union européenne, les règles de déficit, l’aide et la coordination des réformes, le parachèvement de l’Union bancaire ou les restructurations des dettes souveraines. À plus longue échéance, sans doute est-ce la réappropriation, par les gouvernants, du projet européen, et la restauration d’une volonté politique de coopération entre États qui permettront une révision des traités encore prématurée.

Olivier Marty