J’ai rédigé, pour le Cercle Orion, un article sur les enjeux des élections européennes. Retrouvez ce texte di-après.
Dix enjeux pour les élections européennes de 2024
Les élections européennes, organisées cette année du 6 au 9 juin dans les 27 États membres de l’Union, constituent un moment important souvent négligé par les électorats. Depuis quatre décennies, en effet, à l’exception heureuse du scrutin de 2019, la participation est en baisse. Pourtant, l’objet de cette consultation démocratique quinquennale est majeur : il s’agit d’élire les représentants des peuples au sein du Parlement européen afin de contribuer à l’orientation politique de la législature amenée à s’ouvrir, c’est-à-dire de peser sur l’action européenne dans une série de domaines impactant la vie quotidienne des citoyens. La période 2024-2029 comportera inévitablement son lot d’enjeux, que l’on peut avec amusement compter au nombre de dix.
Une consultation démocratique majeure
L’Europe est imparfaite, mais ce sont les Européens qui la font. Les chefs d’État et de gouvernement siègent au sein du Conseil européen, instance suprême chargée de donner des impulsions stratégiques à l’Union. Les fonctionnaires européens de la Commission traduisent celles-ci en projets législatifs. Le Conseil des ministres, où siègent les hauts fonctionnaires représentant les États, négocient ces derniers et les adoptent avec le Parlement européen. C’est dans cette dernière instance que sont représentés les peuples européens et c’est celle-ci qui sera renouvelée début juin. En élisant leurs député(e)s, les Européens ont la possibilité d’influer sur le destin politique de l’Union, c’est-à-dire d’y forger des orientations : ils ne peuvent pas se plaindre, à cette occasion, que l’Europe ne soit pas démocratique !
Le Parlement européen, comme l’Union dans son ensemble, ont longtemps été plus simples. Moins d’États membres y étaient représentés, des projets politiques plus porteurs y étaient recensés (acte unique, euro, élargissement, notamment), et les lignes de fractures politiques y étaient moins nettes. Longtemps, la grande coalition des sociaux-démocrates et des conservateurs faisait la loi. Aux dernières élections, marquées par une montée nette de la participation pan-européenne favorisée par la prise de conscience climatique, la représentation européenne a évolué : les deux grands groupes parlementaires se sont trouvés flanqués par les Verts et les partis de droite radicale et extrême et ont dû se coaliser avec le groupe centriste « Renew », renforcé par de nombreux bataillons du parti français En Marche !.
Des enjeux globaux conséquents
Au cours de la prochaine législature, le Parlement européen devrait être un peu plus fragmenté qu’à l’heure actuelle. La droite populiste et extrémiste devrait faire une percée, tandis que les Verts seraient amenés à refluer à mesure que les politiques écologistes sont contestées. Les deux grands groupes parlementaires devraient donc être plus contraints pour défendre le bilan de la législature passée et poursuivre l’agenda ambitieux auquel ils ont été associés. Au cours des cinq dernières années, en effet, l’Union a bien réagi aux crises (COVID, guerre en Ukraine, crise énergétique), porté un agenda d’autonomie stratégique important, notamment en matière de défense et d’industrie, et mis en œuvre le projet faitier et jusqu’alors assez consensuel du « Green Deal ». Cependant, il est possible que la même coalition soit reconduite.
Dans la période qui s’ouvre, les enjeux ne manqueront pas, à commencer par les enjeux globaux. La capacité de l’Union à peser dans un « monde d’États » gouverné par le rapport de force est le premier : l’Union devra défendre ses intérêts et ses valeurs résolument, tout en maitrisant sa propre sécurité en Ukraine et sur ses autres frontières. Elle devra aussi muscler sa propre compétitivité en prenant appui sur le rapport Draghi livré dans quelques semaines et continuellement ajourner ses politiques commerciales, industrielles et de concurrence. La gestion pratique des vagues migratoires, imparfaitement encadrée par le Pacte Asile et Migrations, sera également mise à l’épreuve. Enfin, la contribution de l’UE à la lutte contre le changement climatique devra être ajustée, mais poursuivie.
Des enjeux internes pas moins importants
Au plan intérieur, les élections européennes seront aussi l’occasion d’influer sur des questions majeures. La capacité de l’Union à réaliser les investissements gigantesques attendus pour réaliser les transitions climatiques et numériques, ainsi que la montée en puissance en matière de défense, devra être renforcée au gré de la réalisation de l’Union des marchés de capitaux, qui mobilisera des sources de capitaux privés et permettra un transfert de risques. L’approfondissement du marché unique, prenant assise sur le rapport Letta, sera susceptible d’apporter de nouvelles sources de croissance mais devra être débattu dans ses modalités. La gestion de l’espace Schengen, enfin, devra sauvegarder la liberté de circulation tout en renforçant la sécurité intérieure et penser l’élargissement à venir.
La dynamique d’élargissement forme justement un sujet majeur : à l’heure actuelle, l’Union s’est engagée auprès de l’Ukraine, de la Moldavie, et de la Géorgie, en plus de l’ensemble des États des Balkans et, encore…de la Turquie. Les partis ont-ils bien réfléchi aux limites de l’Union « XXL » et à ses conséquences financières et institutionnelles ? Ces dernières devront être rapidement préparées au plan pratique, en prenant appui, si possible, sur une Convention représentant les États, le Parlement européen, et les Parlements nationaux. Enfin, le renforcement de la cohésion économique et sociale de la grande Europe devra être préparé dans le renouvellement de la politique éponyme, qui elle aussi devra prendre appui sur de nouveaux moyens financiers et des dispositifs de partage de risques.
Olivier Marty, achevé de rédiger le 24 avril 2024