J’ai rédigé récemment, pour le Cercle Orion, un article sur la politique économique de Joe Biden et les raisons pour lesquelles elle ne trouve pas son public.
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It should be the economy, stupid!
ABSTRACT : Le Président américain Joe Biden a mis en place une politique économique volontariste dont les résultats positifs dépassent à bien des égards les critiques dont elle fait encore l’objet. Cependant, dans le contexte de l’élection présidentielle, les « Bidenomics » ne semblent pas trouver les faveurs des électeurs, qui l’associent encore et surtout à la flambée passée de l’inflation. Dans ce contexte, même si le « vote économique » est devenu relativement marginal dans la détermination d’une élection, le candidat démocrate devrait se montrer beaucoup plus offensif dans la défense de son bilan et encore un peu plus résolu pour faire baisser certains prix.
INTRODUCTION
Avec les premiers coups échangés par les camps démocrate et républicain, et le moment charnière que représente, dans la campagne des primaires, le « Super Tuesday », organisé le 5 mars, la course à la présidentielle américaine est désormais bel et bien lancée. La dynamique ne favorise pas pour le moment Joe Biden, qui fait face à quatre écueils : son âge, son manque de dynamisme et l’inquiétude suscitée par sa légère sénilité ; sa contestation par l’aile gauche du Parti démocrate, notamment sur sa position dans le conflit au Proche-Orient ; l’enjeu migratoire, qui est largement instrumentalisé par les Républicains ; et la perception par l’opinion de la conjoncture économique. Sur ce dernier plan, pourtant, le président en exercice n’a pas à rougir de ses résultats.
Un activisme économique inédit depuis les années 1930
La politique économique de Joe Biden eût la particularité, voire l’avantage, peu de temps après son élection, d’être affublée du néologisme « omics », pourtant dispensé avec une relative parcimonie dans l’histoire américaine. Ce terme n’avait, en effet, été attribué que tardivement à Roosevelt, grand architecte d’une vaste relance par l’investissement public dans les années 1930, à Nixon, dans les années 1970, puis surtout au président Reagan, chantre de la baisse d’impôts et du retrait de l’État. Plus près de nous, c’est Bill Clinton, qui présida à une forte croissance, garantit une progressivité de l’impôt et fit baisser sensiblement la dette publique qui vit sa politique économique très typée ainsi caractérisée.
Les « Bidenomics » trouvent leur fondement dans les réflexions du Conseiller pour la sécurité du président, Jake Sullivan, qui a travaillé ces dernières années sur le phénomène de défiance des classes moyennes vis-à-vis des élites et sur la montée du populisme. Selon lui, le cycle libéral contemporain, initié précisément sous Reagan, finit d’être complètement remis en cause dans le sillage de la grande crise financière de 2008 et appelle à la constitution d’un « nouveau consensus de Washington ». Les bases de cette réflexion avaient d’ailleurs été mises en pratique par les présidents Obama et Trump, qui ne furent pas de grands partisans du libre-échange et tentèrent, chacun à leur manière, de contenir la Chine.
Cependant, le président Biden va plus loin. Au cœur de sa politique économique se trouvent de très larges enveloppes d’investissement public, qui se chiffrent en milliers de milliards de dollars et signent le retour inédit d’un État interventionniste et protectionniste. Le président démocrate lança d’abord l’American Rescue Plan (ARP – 2,2 trillions USD) visant à amplifier les mesures de soutien de Trump dans le contexte de la crise du COVID. Puis l’Infrastructure Investment and Jobs Act (IIJA – 550 milliards USD) pour moderniser les infrastructures de transport. Le Chips and Science Act (CSA – 280 milliards USD) compléta le dispositif en soutien à la production de semi-conducteurs et d’autres technologies stratégiques.
Une politique économique cohérente et vertueuse
Ces différents plans furent complétés par l’Inflation Reduction Act (IRA – 454 milliards UD), lancé à l’été 2022 en soutien à la production de technologies vertes et visant également le contrôle, via la limitation des prix des médicaments, des dépenses de santé et donc de l’inflation. Un certain nombre de dispositions exécutives prises après novembre 2022, dans le cadre d’un Congrès à majorité républicaine, telles que les interdictions d’exportations vers la Chine de technologies sensibles, furent également actées. Des mesures de renouvellement du droit de la concurrence complétèrent le dispositif. Au plan fiscal, l’administration Biden a instauré un taux minimal d’imposition des grandes multinationales de 15%.
Les mesures économiques de Joe Biden marquent un véritable souci de restauration de la classe moyenne américaine, qui constitue le pivot de l’ensemble. Elles attachent également beaucoup d’importance à la réindustrialisation et au renouveau de la pratique syndicale américaine. Elles sont ensuite un levier de développement de l’État providence, avec l’extension de certains dispositifs de l’Obamacare. Elles veillent aussi à une forme d’équité en encadrant mieux le gigantesque pouvoir de marché des GAFAM et en améliorant sur le long terme la collecte de l’impôt des particuliers. Enfin, Joe Biden poursuit la politique protectionniste engagée par son prédécesseur à l’encontre de la Chine.
Les mesures actées eurent pour effet d’assurer une forte reprise dans le contexte de la sortie de crise du COVID mais également une forte hausse des prix, amplifiée par les effets de la guerre en Ukraine : l’inflation a touché 9,1% en juin 2022. La politique a également maintenu sous tension le marché du travail, fait baisser le chômage à un niveau très bas (3,9% en février 2024), relancé l’emploi industriel (800.000 emplois) et fait marginalement baisser les inégalités de revenu. Cependant, elle mit l’économie dans une situation de surchauffe qui poussa la Federal Reserve à engager une hausse rapide et importante de ses taux à partir de février 2022. L’économie n’a pas pour autant connu de récession sévère.
Les « Bidenomics » ne trouvent pas leur public
Ainsi que l’analyse Laurence Nardon, les « Bidenomics » sont pourtant contestées par plusieurs courants politiques. La droite « trumpiste » fait feu de toutes critiques, sans pour autant véritablement renier ses aspects interventionnistes et protectionnistes. De son côté, la gauche radicale emmenée par Bernie Sanders et Elizabeth Warren exprime sa déception face à l’absence de réforme ambitieuse de la fiscalité ou d’allègement massif de la dette étudiante. Plus rigoureusement, les analystes libéraux s’insurgent contre le retour de politiques industrielles et protectionnistes, ainsi que sur les risques portés aux finances publiques. D’autres, dans ce camp, s’interrogent sur l’utilité de soutenir l’industrie.
De façon plus troublante, la politique économique de Biden n’est pas parvenue à séduire l’opinion. Le sentiment que l’inflation demeure forte, alors que celle-ci a baissé à 3,1% en janvier 2024, en est la raison principale : 67% des répondants à un sondage FT-Michigan Ross de fin février indiquent que l’inflation est leur préoccupation première. La population américaine a sans doute aussi été apeurée par la crainte d’une récession brutale dans le contexte de hausse des taux tout en chérissant le souvenir d’une croissance non inflationniste avant le COVID. Le fait que la croissance américaine ait été supérieure à celle des autres grandes économies avancées en 2023 ne change pas les perspectives.
Dans des contextes politiques moins troublés, l’économie avait pourtant pu jouer un rôle important dans les campagnes présidentielles. En 1992, Bill Clinton sût capitaliser sur la conjoncture morose laissée par George H. Bush en arguant face aux électeurs « it’s the economy, stupid ! ». En 2008, Barack Obama forgea une part de sa crédibilité sur le plan de relance que son administration allait mettre en œuvre pour lutter contre la « grande récession ». En 2024, les choses sont bien différentes. Selon deux universitaires cités par Pascal Riché de l’Obs, Christopher R. Ellis et Joseph D. Ura, la polarisation violente de la vie politique rend le « vote économique » de moins en moins important.
Biden doit encore se montrer à l’offensive
La vie politique américaine est en effet désormais structurée par les questions culturelles telles que l’avortement, les armes à feu, le racisme ou les mœurs. D’un autre côté, l’ampleur de la désinformation conjuguée au paroxysme des clivages et des angoisses sur fond de décadence sociétale créent des « filtres perceptuels » affectant le jugement des électeurs. Ainsi, selon un sondage Harris de septembre, une courte majorité d’Américains (51% – et 60% des électeurs républicains !) pensent que le chômage est actuellement proche de son plus haut alors qu’il est en réalité très bas ! Et selon le Financial Times, la majorité des électeurs fait davantage confiance à Donald Trump pour gérer l’économie.
Dans ce contexte, Joe Biden a intérêt à se focaliser sur deux poches subsistantes d’inflation dont se préoccupent beaucoup les Américains : celles de l’alimentation et de l’immobilier. Il a commencé à s’attaquer aux pratiques inflationnistes des distributeurs avec un succès salué par les électeurs. La situation sur le front du logement est plus difficile : l’indice des prix des logements, qui a augmenté de 30% en termes nominaux depuis 2021 malgré la hausse des taux, ne sera réellement compensé que par un regain de pouvoir d’achat déterminé par le profil de la baisse des taux, sur lequel l’administration est impuissante. Cependant, un discours offensif sur ce sujet, ainsi qu’en défense du bilan économique, pourront aider.
Olivier Marty est président d’Educ-EU et enseignant en économie à l’Université Paris-Cité
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